Un CAC 40 qui finit en hausse de 5,37% à 2992 points, ça mérite qu’on s’y arrête. Baissier dans l’âme, j’avais évoqué dans certains posts précédents cette possibilité des 3000 points. Ma nature d’ours m’a empêché de jouer cette hausse et aujourd’hui une position short où j’ai été trop gourmand a failli me couter cher ! Mais ça va je m’en suis sorti. Plus sérieusement, je crois qu’il est indispensable de réellement débusquer les causes de la hausse. Etant démuni j’avais fait appel à l‘analyse technique de Pvergneau qui s’est donc révélée “bien vue” mais à présent il est temps de creuser un peu plus : la séance d’aujourd’hui est en effet un signal fort et c’est inutile d’attendre la cloture US pour en parler : nous sommes donc bien dans un rebond assez pêchu. Dans un premier temps, je vais essayer de donner quelques éléments fondamentaux qui peuvent expliquer cette hausse. Dans un second temps, on essaiera de voir ce qu’il faut en attendre…doit on rester sur nos gardes et trembler à chaque baisse, ou bien sommes-nous sur une vague qui pourrait nous porter quelques mois. Cette dernière partie de l’exposé dépendra pas mal de mon appréciation personnelle des événements…donc ce sera à prendre comme continuité des pistes de réflexion lancée en première partie. Ce ne sont pas des assertions du type “le CAC à temps de points pour tel mois” (si vous en voulez des comme ça, très drôles…allez donc consulter l’historique du JDF )…
Alors qu’est ce qui peut, dans les fondamentaux, justifier cette hausse ? Les chiffres du chômage que ce soit aux US ou en Europe sont catastrophiques, les inscriptions hebdomadaires américaines tombées aujourd’hui marquent un plus haut vieux de 26 ans. Les chiffres du mois de mars tombés hier étaient aussi beaucoup plus hauts que prévus avec + de 700 000 chômeurs supplémentaires. Ces statistiques ont été suivies à chaque fois par des chiffres “moins mauvais que prévu”…et le marché étant haussier, il a retenu ce qu’il voulait. Ainsi ce qui se passe depuis le début du rebond est le mécanisme suivant : les mauvais chiffres sont suivis de chiffres plus positifs. Ces chiffres “plus positifs” sont à chaque fois accompagnés des données du mois ou de la semaine précédente remis à jour : ce dernier est souvent pire que tout, mais comme le chiffre “frais” est meilleur que prévu, c’est ce qui semble retenir l’attention des marchés. Prenons un exemple, les chiffres de l’industrie aujourd’hui, donnés à 16 H. Je rappelle que le chômage hebdomadaire avait lui provoqué un petit “trou d’air” vers 14 H. Voici donc la news qui a contribué au coup boost des marchés en fin d’après midi :
“(AOF) - Les commandes à l’industrie aux États-Unis ont progressé de 1,8% au mois de février. Le consensus s’établissait à 1,5%. Au mois de janvier, les commandes avaient reculé de 3,5% (chiffre révisé de - 1,9%).”
Vous pouvez faire des recherches par vous-mêmes, c’est quasi systématique sur les deux dernières semaines : pour un chiffre donné qui est “positif”, il y a le chiffre précédent qui est revu souvent très sévèrement à la baisse. Cela permet de se mettre à jour pour ne pas garder des chiffres erronés : mais ce n’est pas tout, les autorités font en effet d’une pierre deux coups. En revoyant le chiffre précédent à la baisse, le nouveau s’en trouve amélioré…saisissez-vous ? Il ne s’agit pas de crier au scandale, mais c’est quelque chose à avoir en tête, surtout si l’on guette les cours bas en y voyant la possibilité d’un investissement de bon père de famille. Il ne faut pas se leurrer : dans le ballet des statistiques, les autorités sont à la fois metteur en scène et auteur. Je vous ai commenté la partie mise en scène…je laisserai Churchill commenter la partie “auteur”, le premier ministre anglais aimait en effet à déclarer : “je ne crois aux statistiques que si je les ai trafiquées moi-même”. A méditer. Bon encore un argument haussier venant d’un baissier me direz-vous ? Bah, on ne se refait pas mais attendez la suite.
Dans ce post, j’analysais les causes premières du rebond : je relevais que le premier jour du rallye haussier coïncidait non seulement avec la rumeur du mémo du CEO de Citigroup évoquant des bénéfices pour le T1 2009, mais aussi avec les propos de Bernanke qui laissait entendre que les règles de “market to market” allaient être assouplies. Hé bien c’est chose faite ! Les banques vont pouvoir redevenir opaques, elles vont à nouveau pouvoir assigner la valeur qu’elles veulent à leur “toxic assets”. Le FASB a voté pour plus de souplesse dans la transparence. De quoi donner un second souffle au rebond ! Cela s’est fait en toute cohérence, si l’on se place dans le perspective du “plan Geithner” qui n’est pas autre chose que la mise en place d’un système permettant de siphonner les poches du contribuable américain, ce au profit des banksters. Le “plan Geithner” est anti-transparence : au lieu de créer une place de marché claire où pourraient s’échanger les toxic assets, il avalise une culture de sombres accords d’arrière boutique. Je m’explique.
Officiellement les toxic-assets sont donc des produits dont on ne connait pas la valeur, donc ils sont illiquides.
Présenté par les banques et les autorités américaines ça donne ça : “il y a un problème de liquidité”. On s’en doute ce problème de liquidité n’est pas lui-même la cause du souci : on pointe là une cause qui n’est en fait qu’une conséquence. Ces produits sont illiquides, si personne n’en veut, si personne ne veut investir dedans, c’est parce qu’ils ne valent en fait pas grand chose. Pas grand chose par rapport à quoi ? Hé bien par rapport à ce que les banques en exigent. La notion de “market to market” qui peut paraître un peu abstraite, va d’un coup vous paraître très claire : sans “market to market”, ce sont les banques qui décident du prix des actifs qu’elles détiennent. Avec le “market to market”, il y a mise sur le marché et c’est l’offre et la demande qui fait alors son œuvre. Le “market to market”, c’est à la fois la transparence et la liquidité…peut être que le prix sera bas, mais les toxic assets s’échangeront.
L’illiquidité des toxic-assets est donc un problème qui trouve sa source dans les banques qui détiennent ces mauvais actifs : elles ne veulent pas de transparence, elle ne veulent pas avoir à dire “nous avons tels produits qui sont adossés à tant de prêts immobiliers qui ont été contractés dans telles et telles régions” etc. Les produits ne sont pas illiquides en soi, ils sont rendus illiquides par les banques. Elles refusent de donner les informations qui permettraient à des investisseurs privés de dire “tiens oui je vais mettre mon argent là dedans”. Alors on l’a compris, si les banques refusent cette transparence et qu’elle refusent le “market to market”, c’est parce qu’elles préfèrent estimer elles-mêmes leur propre marchandise. Ainsi elles vont poser : “cela vaut 60$, le marché n’est pas liquide donc je ne peux pas vendre ça 60$ parce que si je vends moins ce n’est pas juste”. Sur quoi se baser pour estimer le produit problématique à 60$ ? Rien, sans mise sur le marché, zéro solutions. Il ne faut compter que sur la bonne parole de la banque puisqu’elle refuse de communiquer sur ce qui constitue le produit. Alors voilà, une des raisons de la hausse c’est ça : on a aujourd’hui donné raison aux banques qui refusent d’être claires à la fois sur la quantité et la qualité des actifs toxiques qu’elles détiennent.
Quel lien avec le plan Geithner me direz-vous ? C’est simple : contrairement à ce que l’on peut se laisser croire, les investisseurs privés qui vont investir sur ces actifs problématiques dont l’opacité vient d’être avalisée par les autorités américaines, sont d’un genre très particulier. Car si l’on se demande qui peut décider de jouer le jeu et d’investir dans les toxic-assets, on s’aperçoit très vite que ce ne peut être que les banques elles-mêmes. Elles le feront par des moyens plus ou moins indirects, mais ils semble que ce seront elles qui se rachèteront leurs propres produits dont elles établissent elles-mêmes les prix. Vous suivez ? Cela explique pourquoi Geithner n’a pas choisi la solution suivante, qui aurait pu être une alternative : prendre tout les toxic-assets, les mettre dans une société ad hoc. Introduire cette société en bourse en exigeant une transparence totale sur les produits qu’elle détient et laisser faire le marché : vous et moi aurions pu nous rendre sur le site internet de cette société dont la transparence serait garantie par les autorités, étudier la question…et peut être investir. Les petits malins diront “oui mais personne ne voudra investir là -dedans”. Mais qu’en sait-on au fond ? Réponse : “rien” . La seule solution serait d’essayer. Si les prix établis par le marché sont trop faibles, alors oui certaines banques devront déposer le bilan : mais c’est un risque inhérent au métier de banquier, un investissement peut tourner mal…et on peut avoir à mettre la clé sous la porte. Les faillites sont une sorte d’assainissement du système : ceux qui ont faits des choix de gestion déraisonnables sont punis et disparaissent. Cela permet à d’autres acteurs plus compétents d’émerger, ceux-ci remplacent ainsi les mauvais qui n’ont rien à faire là où ils sont.
Mais Geithner est l’ami des banquiers en place, il est passé par la FED de New York et Wall Street constitue en quelque sorte “la toile de son réseau”. Le fait qu’il ait été nommé par le gentil Obama est décevant et a contribué a endormir les foules. Alors penchons nous précisément sur son plan : voyons le côté technique, de façon à confirmer ce que j’ai avancé plus haut, à savoir : “ce plan est taillé de façon à ce que les banquiers puissent siphonner tranquille les poches du contribuable”.
Pour le rachat de 100$ d’actif toxique, la transaction et le financement se feront de la manière suivante : l’investisseur privé mettra 7,50%, le Trésor américain soit l’équivalent de notre ministère des finances allongera 7,50% aussi…quant aux 85% restants ils seront financés par la FED via un montage avec le FDIC. On notera que le FDIC garantit une énorme partie de l’apport : deux choses sont à relever par rapport à cela. Premièrement le FDIC n’est normalement pas “là pour ça”. C’est en effet un organisme créé après la crise de 1929 qui est censé garantir les dépôts d’argent dans les banques : en cas de faillite, c’est lui qui aligne. On ne trouve aucune indication dans ses statuts qui permettrait de justifier le rôle qu’il s’apprête à jouer, lire à ce sujet cet article. Le deuxième point à relever est une conséquence de notre première remarque : si le FDIC est appelé sans raison à jouer ce rôle, c’est parce qu’on veut éviter pour l’instant d’avoir à demander l’autorisation du congrès, c’est à dire des élus du peuple qui vont débourser l’argent qui sera dépensé.
L’investisseur privé ne mise donc que 7,50 %. Si vous connaissez le mode de fonctionnement d’un turbo (pas celui du moteur), vous comprendrez aisément que l’on peut assimiler les 85% du FDIC à un “niveau de financement” : si la valeur de l’actif toxique perd plus de 15% par rapport à l’investissement initial, l’investisseur privé voit sa position soldée, dans le sens où il ne perdra pas plus que son investissement de départ. Le reste de la baisse sera assumée par les 85% avancés par le FDIC. Au contraire, à la hausse les gains ne vont pas au FDIC, ils sont tout simplement partagés entre le Trésor et l’investisseur privé. L’arrangement de Geithner n’est ni plus ni moins qu’un produit à effet levier, financé par la contribuable, mais la suite est encore mieux : prenons un exemple, c’est croustillant.
Je le répète l’investisseur privé est dans une position où il dit “face je gagne, pile tu perds”. Dans ce contexte particulier, admettons donc qu’un investisseur veuille acheter un toxic asset. La banque ne veut pas céder le produit en dessous de 60$. L’investisseur et le Trésor alignent donc chacun 4,50$, le FDIC assurera les 51$ manquants. On l’a vu, si l’actif valait vraiment 60$ il n’y aurait pas de problèmes de liquidité…mais voyons ce qu’il se passe selon les scénarios :
Le toxic asset perd 50% de sa valeur : il ne vaut plus que 30$. L’investisseur et le Trésor perdent donc chacun leurs 4,50$.
60-(4,50*2)= 51
51-30=21
Le FDIC payera par contre une perte de 21$…
Si l’actif vaut un peu plus, disons 50$ :
51-40= 11
Le FDIC payera 11$
Si l’actif ne vaut en fait que 10$…on a :
51-10=40…
Le FDIC payera les 40$ manquants…etc…
Les pertes encourues par l’investisseur privé ne dépassent donc pas son investissement.
Dans le cas où l’actif vaudrait effectivement 60$, l’investisseur privé et tout les autres agents de l’opération ne perdent rien. Si l’actif vaut plus on a alors :
Admettons que de 60, il passe à 100$, on aura :
100-51=49
Le FDIC reprend son financement et les gains sont partagés entre l’investisseur privé et le Trésor :
49/2=24,50
L’investisseur privé récupère donc plus de 5 fois sa mise (+500%) pour une hausse de moins de 70% : 24,50$. Il dispose donc à peu près d’un levier 5, financé par le contribuable. Car il faut garder en tête qu’il y a peu de chances pour qu’il y ait des plus values de réalisées avec ce genre d’achat : je rappelle que c’est la banque qui fixe les prix auquel elle veut bien céder son actif et on se doute donc bien qu’elle tire largement par le haut la valeur de son produit. La question est donc qui pourrait bien avoir envie d’acheter ces produits si ce n’est pas les banques elles-mêmes ? C’est ce qui fait peur et c’est ce qui vient tout de suite à l’idée lorsque l’on observe ce système : si il n’y a pas de market to market, c’est bien parce que les banques continueront à coter leur produit comme elles le désirent. En fixant le prix qu’elles veulent, elles n’auront aucun mal à “produire” des acheteurs : il leur suffit par exemple de faire la chose suivante.
Une banque peut prêter 4,50$ à un hedge fund, il existe toujours se type de structure, gravitant autour des banques. La banque prête donc au hedge fund qui va investir dans un toxic asset à 60$. Les choses se passent comme je l’ai décrit plus haut : le Trésor aligne lui aussi ses 4,50$. Dans le même temps, la banque vend un CDS au hedge fund, elle fait ça à un prix dérisoire…le principe c’est juste que le hedge fund soit couvert pour la possible perte des 4,50$. Il n’a ainsi rien à perdre et tout à gagner : en effet pour lui, le risque sera de zéro. Si le toxic-asset perd trop de valeur, la perte est toujours limitée à 4,50$ qui seront dans ce cas là remboursés par la banque qui a fourni le CDS à un prix dérisoire. Dans ce scénario, la banque a peut être quasi donnée le CDS qui fait office de contrat d’assurance anti-pertes : mais elle s’en fout parce que dans le même temps, elle a vendu 60$ un produit dont personne ne voulait à ce prix. Pour se débarrasser d’une potentielle perte de 40$ ou plus, elle n’aura eu qu’à débourser 4,50$ et des poussières (frais de toutes ces transactions). Le hedge fund a lui joué le jeu, puisqu’il se trouvait ainsi sur un produit à effet levier pouvant peut être produire des gains…le tout sans aucun risque. Les exemples d’investisseurs privés pouvant être intéressés par ce type d’investissement auront tous ce profil là : ils auront toujours la garantie de revoir un jour le peu qu’ils mettent. La banque qui garantit cela se débarrasse ainsi de ses produits pourris avec l’argent du contribuable. D’autres scénarii sont imaginables, mais ils ont tous en commun ceci : jamais il ne mettent en scène un investisseur lambda qui metterait ses 4,50$ sans être certain de les revoir. Un tel investisseur devrait être soit forcé par l’Etat, soit détraqué et irresponsable…et maintenant que Madoff est en prison… Cinq vidéos sont disponibles à ce sujet : je m’en suis inspiré et elles expliquent plus en détails certains aspects de ce micmac : c’est en anglais, mais c’est super. La Khan academy dispose de nombreuse autres videos didactives sur youtube, les anglophones, jetez y un oeil c’est un régal.
Voilà donc, je viens de tenter d’expliquer au mieux une des raisons de la hausse du moment : vous l’aurez compris, ce plan Geithner additionné à la mise entre parenthèse des règles de market to market est un facteur de hausse autrement plus important que le Guignols 20 qui s’est achevé ce soir. Les règles de market to market ont été accusées d’aggraver la crise…en effet elles laissaient la possibilité d’espérer pouvoir un jour jeter un œil sous les tapis des banques en difficultés. Alors il faut croire qu’il faille faire le terre à terre : je crois ce que je vois. Vu que je ne vois pas tout ce qui est foireux, tout va bien. Conditionnons ainsi, ça permettra de comprendre la bullish attitude ambiante ! Face à tout ça, il faut également essayer de garder son sang froid et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Ne devrions-nous pas faire comme les salariés de Citigroup ? Ceux-ci se sont en effet gavés d’actions lorsqu’elles étaient au plus bas…aujourd’hui…il y a de la plus value latente. Alors si comme on l’a vu les banques vont pouvoir se débarrasser de leurs actifs douteux en les refilant au contribuable, ne faudrait-il pas penser à rentrer dans le capital de ces astucieux braqueurs ? Plutôt que de s’indigner et de s’obstiner à attendre les grandes faillites, ne faut-il pas profiter de ce que ces naïfs américains vont injecter à leurs banksters ?
Pour jouer cela, il va falloir suivre attentivement la suite des choses. Faudra-t-il prendre le train en marche ou vaut-il mieux attendre une rechute pour tenter le coup que l’on a loupé la dernière fois : “a second shot” sur Citigroup par exemple ? Les arguments pour attendre une rechute se résument à “c’est plus prudent”. Mais le problème…c’est qu’il faudra essayer d’être sûr que le marché se relève une nouvelle fois et ça…peut être que les autorités américaines ne sont pas prêtes à tenter le coup. Autrement dit, il va falloir suivre de près la manière dont l’équipe Obama va gérer les points sensibles : AIG et l’ industrie automobile. On l’a déjà dit le petit jeu de “cache cache avec le cash cash” voit devoir cesser un jour. Cela va-t-il se faire par une grosse rechute ? Ou bien vont-ils la jouer plus “smooth”… L’idéal serait peut être une petite correction sévère mais pas catastrophique. Ce serait la petite secousse désagréable mais nécessaire pour régler les problèmes urgents GM…AIG… Les banques semblent donc peut être avoir de beaux jours devant elles, elles mourront sans aucun doute…mais il va y avoir regain sur fond de pillage des fonds publics dans les mois qui viennent. La seule manière pour le contribuable de limiter les dégâts semble être de se placer sur les boîtes qui le volent, notez bien qu’il peut aussi aller manifester : mais ce serait plus prudent de faire les deux !
http://blogduglobe.wordpress.com/
Alors qu’est ce qui peut, dans les fondamentaux, justifier cette hausse ? Les chiffres du chômage que ce soit aux US ou en Europe sont catastrophiques, les inscriptions hebdomadaires américaines tombées aujourd’hui marquent un plus haut vieux de 26 ans. Les chiffres du mois de mars tombés hier étaient aussi beaucoup plus hauts que prévus avec + de 700 000 chômeurs supplémentaires. Ces statistiques ont été suivies à chaque fois par des chiffres “moins mauvais que prévu”…et le marché étant haussier, il a retenu ce qu’il voulait. Ainsi ce qui se passe depuis le début du rebond est le mécanisme suivant : les mauvais chiffres sont suivis de chiffres plus positifs. Ces chiffres “plus positifs” sont à chaque fois accompagnés des données du mois ou de la semaine précédente remis à jour : ce dernier est souvent pire que tout, mais comme le chiffre “frais” est meilleur que prévu, c’est ce qui semble retenir l’attention des marchés. Prenons un exemple, les chiffres de l’industrie aujourd’hui, donnés à 16 H. Je rappelle que le chômage hebdomadaire avait lui provoqué un petit “trou d’air” vers 14 H. Voici donc la news qui a contribué au coup boost des marchés en fin d’après midi :
“(AOF) - Les commandes à l’industrie aux États-Unis ont progressé de 1,8% au mois de février. Le consensus s’établissait à 1,5%. Au mois de janvier, les commandes avaient reculé de 3,5% (chiffre révisé de - 1,9%).”
Vous pouvez faire des recherches par vous-mêmes, c’est quasi systématique sur les deux dernières semaines : pour un chiffre donné qui est “positif”, il y a le chiffre précédent qui est revu souvent très sévèrement à la baisse. Cela permet de se mettre à jour pour ne pas garder des chiffres erronés : mais ce n’est pas tout, les autorités font en effet d’une pierre deux coups. En revoyant le chiffre précédent à la baisse, le nouveau s’en trouve amélioré…saisissez-vous ? Il ne s’agit pas de crier au scandale, mais c’est quelque chose à avoir en tête, surtout si l’on guette les cours bas en y voyant la possibilité d’un investissement de bon père de famille. Il ne faut pas se leurrer : dans le ballet des statistiques, les autorités sont à la fois metteur en scène et auteur. Je vous ai commenté la partie mise en scène…je laisserai Churchill commenter la partie “auteur”, le premier ministre anglais aimait en effet à déclarer : “je ne crois aux statistiques que si je les ai trafiquées moi-même”. A méditer. Bon encore un argument haussier venant d’un baissier me direz-vous ? Bah, on ne se refait pas mais attendez la suite.
Dans ce post, j’analysais les causes premières du rebond : je relevais que le premier jour du rallye haussier coïncidait non seulement avec la rumeur du mémo du CEO de Citigroup évoquant des bénéfices pour le T1 2009, mais aussi avec les propos de Bernanke qui laissait entendre que les règles de “market to market” allaient être assouplies. Hé bien c’est chose faite ! Les banques vont pouvoir redevenir opaques, elles vont à nouveau pouvoir assigner la valeur qu’elles veulent à leur “toxic assets”. Le FASB a voté pour plus de souplesse dans la transparence. De quoi donner un second souffle au rebond ! Cela s’est fait en toute cohérence, si l’on se place dans le perspective du “plan Geithner” qui n’est pas autre chose que la mise en place d’un système permettant de siphonner les poches du contribuable américain, ce au profit des banksters. Le “plan Geithner” est anti-transparence : au lieu de créer une place de marché claire où pourraient s’échanger les toxic assets, il avalise une culture de sombres accords d’arrière boutique. Je m’explique.
Officiellement les toxic-assets sont donc des produits dont on ne connait pas la valeur, donc ils sont illiquides.
Présenté par les banques et les autorités américaines ça donne ça : “il y a un problème de liquidité”. On s’en doute ce problème de liquidité n’est pas lui-même la cause du souci : on pointe là une cause qui n’est en fait qu’une conséquence. Ces produits sont illiquides, si personne n’en veut, si personne ne veut investir dedans, c’est parce qu’ils ne valent en fait pas grand chose. Pas grand chose par rapport à quoi ? Hé bien par rapport à ce que les banques en exigent. La notion de “market to market” qui peut paraître un peu abstraite, va d’un coup vous paraître très claire : sans “market to market”, ce sont les banques qui décident du prix des actifs qu’elles détiennent. Avec le “market to market”, il y a mise sur le marché et c’est l’offre et la demande qui fait alors son œuvre. Le “market to market”, c’est à la fois la transparence et la liquidité…peut être que le prix sera bas, mais les toxic assets s’échangeront.
L’illiquidité des toxic-assets est donc un problème qui trouve sa source dans les banques qui détiennent ces mauvais actifs : elles ne veulent pas de transparence, elle ne veulent pas avoir à dire “nous avons tels produits qui sont adossés à tant de prêts immobiliers qui ont été contractés dans telles et telles régions” etc. Les produits ne sont pas illiquides en soi, ils sont rendus illiquides par les banques. Elles refusent de donner les informations qui permettraient à des investisseurs privés de dire “tiens oui je vais mettre mon argent là dedans”. Alors on l’a compris, si les banques refusent cette transparence et qu’elle refusent le “market to market”, c’est parce qu’elles préfèrent estimer elles-mêmes leur propre marchandise. Ainsi elles vont poser : “cela vaut 60$, le marché n’est pas liquide donc je ne peux pas vendre ça 60$ parce que si je vends moins ce n’est pas juste”. Sur quoi se baser pour estimer le produit problématique à 60$ ? Rien, sans mise sur le marché, zéro solutions. Il ne faut compter que sur la bonne parole de la banque puisqu’elle refuse de communiquer sur ce qui constitue le produit. Alors voilà, une des raisons de la hausse c’est ça : on a aujourd’hui donné raison aux banques qui refusent d’être claires à la fois sur la quantité et la qualité des actifs toxiques qu’elles détiennent.
Quel lien avec le plan Geithner me direz-vous ? C’est simple : contrairement à ce que l’on peut se laisser croire, les investisseurs privés qui vont investir sur ces actifs problématiques dont l’opacité vient d’être avalisée par les autorités américaines, sont d’un genre très particulier. Car si l’on se demande qui peut décider de jouer le jeu et d’investir dans les toxic-assets, on s’aperçoit très vite que ce ne peut être que les banques elles-mêmes. Elles le feront par des moyens plus ou moins indirects, mais ils semble que ce seront elles qui se rachèteront leurs propres produits dont elles établissent elles-mêmes les prix. Vous suivez ? Cela explique pourquoi Geithner n’a pas choisi la solution suivante, qui aurait pu être une alternative : prendre tout les toxic-assets, les mettre dans une société ad hoc. Introduire cette société en bourse en exigeant une transparence totale sur les produits qu’elle détient et laisser faire le marché : vous et moi aurions pu nous rendre sur le site internet de cette société dont la transparence serait garantie par les autorités, étudier la question…et peut être investir. Les petits malins diront “oui mais personne ne voudra investir là -dedans”. Mais qu’en sait-on au fond ? Réponse : “rien” . La seule solution serait d’essayer. Si les prix établis par le marché sont trop faibles, alors oui certaines banques devront déposer le bilan : mais c’est un risque inhérent au métier de banquier, un investissement peut tourner mal…et on peut avoir à mettre la clé sous la porte. Les faillites sont une sorte d’assainissement du système : ceux qui ont faits des choix de gestion déraisonnables sont punis et disparaissent. Cela permet à d’autres acteurs plus compétents d’émerger, ceux-ci remplacent ainsi les mauvais qui n’ont rien à faire là où ils sont.
Mais Geithner est l’ami des banquiers en place, il est passé par la FED de New York et Wall Street constitue en quelque sorte “la toile de son réseau”. Le fait qu’il ait été nommé par le gentil Obama est décevant et a contribué a endormir les foules. Alors penchons nous précisément sur son plan : voyons le côté technique, de façon à confirmer ce que j’ai avancé plus haut, à savoir : “ce plan est taillé de façon à ce que les banquiers puissent siphonner tranquille les poches du contribuable”.
Pour le rachat de 100$ d’actif toxique, la transaction et le financement se feront de la manière suivante : l’investisseur privé mettra 7,50%, le Trésor américain soit l’équivalent de notre ministère des finances allongera 7,50% aussi…quant aux 85% restants ils seront financés par la FED via un montage avec le FDIC. On notera que le FDIC garantit une énorme partie de l’apport : deux choses sont à relever par rapport à cela. Premièrement le FDIC n’est normalement pas “là pour ça”. C’est en effet un organisme créé après la crise de 1929 qui est censé garantir les dépôts d’argent dans les banques : en cas de faillite, c’est lui qui aligne. On ne trouve aucune indication dans ses statuts qui permettrait de justifier le rôle qu’il s’apprête à jouer, lire à ce sujet cet article. Le deuxième point à relever est une conséquence de notre première remarque : si le FDIC est appelé sans raison à jouer ce rôle, c’est parce qu’on veut éviter pour l’instant d’avoir à demander l’autorisation du congrès, c’est à dire des élus du peuple qui vont débourser l’argent qui sera dépensé.
L’investisseur privé ne mise donc que 7,50 %. Si vous connaissez le mode de fonctionnement d’un turbo (pas celui du moteur), vous comprendrez aisément que l’on peut assimiler les 85% du FDIC à un “niveau de financement” : si la valeur de l’actif toxique perd plus de 15% par rapport à l’investissement initial, l’investisseur privé voit sa position soldée, dans le sens où il ne perdra pas plus que son investissement de départ. Le reste de la baisse sera assumée par les 85% avancés par le FDIC. Au contraire, à la hausse les gains ne vont pas au FDIC, ils sont tout simplement partagés entre le Trésor et l’investisseur privé. L’arrangement de Geithner n’est ni plus ni moins qu’un produit à effet levier, financé par la contribuable, mais la suite est encore mieux : prenons un exemple, c’est croustillant.
Je le répète l’investisseur privé est dans une position où il dit “face je gagne, pile tu perds”. Dans ce contexte particulier, admettons donc qu’un investisseur veuille acheter un toxic asset. La banque ne veut pas céder le produit en dessous de 60$. L’investisseur et le Trésor alignent donc chacun 4,50$, le FDIC assurera les 51$ manquants. On l’a vu, si l’actif valait vraiment 60$ il n’y aurait pas de problèmes de liquidité…mais voyons ce qu’il se passe selon les scénarios :
Le toxic asset perd 50% de sa valeur : il ne vaut plus que 30$. L’investisseur et le Trésor perdent donc chacun leurs 4,50$.
60-(4,50*2)= 51
51-30=21
Le FDIC payera par contre une perte de 21$…
Si l’actif vaut un peu plus, disons 50$ :
51-40= 11
Le FDIC payera 11$
Si l’actif ne vaut en fait que 10$…on a :
51-10=40…
Le FDIC payera les 40$ manquants…etc…
Les pertes encourues par l’investisseur privé ne dépassent donc pas son investissement.
Dans le cas où l’actif vaudrait effectivement 60$, l’investisseur privé et tout les autres agents de l’opération ne perdent rien. Si l’actif vaut plus on a alors :
Admettons que de 60, il passe à 100$, on aura :
100-51=49
Le FDIC reprend son financement et les gains sont partagés entre l’investisseur privé et le Trésor :
49/2=24,50
L’investisseur privé récupère donc plus de 5 fois sa mise (+500%) pour une hausse de moins de 70% : 24,50$. Il dispose donc à peu près d’un levier 5, financé par le contribuable. Car il faut garder en tête qu’il y a peu de chances pour qu’il y ait des plus values de réalisées avec ce genre d’achat : je rappelle que c’est la banque qui fixe les prix auquel elle veut bien céder son actif et on se doute donc bien qu’elle tire largement par le haut la valeur de son produit. La question est donc qui pourrait bien avoir envie d’acheter ces produits si ce n’est pas les banques elles-mêmes ? C’est ce qui fait peur et c’est ce qui vient tout de suite à l’idée lorsque l’on observe ce système : si il n’y a pas de market to market, c’est bien parce que les banques continueront à coter leur produit comme elles le désirent. En fixant le prix qu’elles veulent, elles n’auront aucun mal à “produire” des acheteurs : il leur suffit par exemple de faire la chose suivante.
Une banque peut prêter 4,50$ à un hedge fund, il existe toujours se type de structure, gravitant autour des banques. La banque prête donc au hedge fund qui va investir dans un toxic asset à 60$. Les choses se passent comme je l’ai décrit plus haut : le Trésor aligne lui aussi ses 4,50$. Dans le même temps, la banque vend un CDS au hedge fund, elle fait ça à un prix dérisoire…le principe c’est juste que le hedge fund soit couvert pour la possible perte des 4,50$. Il n’a ainsi rien à perdre et tout à gagner : en effet pour lui, le risque sera de zéro. Si le toxic-asset perd trop de valeur, la perte est toujours limitée à 4,50$ qui seront dans ce cas là remboursés par la banque qui a fourni le CDS à un prix dérisoire. Dans ce scénario, la banque a peut être quasi donnée le CDS qui fait office de contrat d’assurance anti-pertes : mais elle s’en fout parce que dans le même temps, elle a vendu 60$ un produit dont personne ne voulait à ce prix. Pour se débarrasser d’une potentielle perte de 40$ ou plus, elle n’aura eu qu’à débourser 4,50$ et des poussières (frais de toutes ces transactions). Le hedge fund a lui joué le jeu, puisqu’il se trouvait ainsi sur un produit à effet levier pouvant peut être produire des gains…le tout sans aucun risque. Les exemples d’investisseurs privés pouvant être intéressés par ce type d’investissement auront tous ce profil là : ils auront toujours la garantie de revoir un jour le peu qu’ils mettent. La banque qui garantit cela se débarrasse ainsi de ses produits pourris avec l’argent du contribuable. D’autres scénarii sont imaginables, mais ils ont tous en commun ceci : jamais il ne mettent en scène un investisseur lambda qui metterait ses 4,50$ sans être certain de les revoir. Un tel investisseur devrait être soit forcé par l’Etat, soit détraqué et irresponsable…et maintenant que Madoff est en prison… Cinq vidéos sont disponibles à ce sujet : je m’en suis inspiré et elles expliquent plus en détails certains aspects de ce micmac : c’est en anglais, mais c’est super. La Khan academy dispose de nombreuse autres videos didactives sur youtube, les anglophones, jetez y un oeil c’est un régal.
Voilà donc, je viens de tenter d’expliquer au mieux une des raisons de la hausse du moment : vous l’aurez compris, ce plan Geithner additionné à la mise entre parenthèse des règles de market to market est un facteur de hausse autrement plus important que le Guignols 20 qui s’est achevé ce soir. Les règles de market to market ont été accusées d’aggraver la crise…en effet elles laissaient la possibilité d’espérer pouvoir un jour jeter un œil sous les tapis des banques en difficultés. Alors il faut croire qu’il faille faire le terre à terre : je crois ce que je vois. Vu que je ne vois pas tout ce qui est foireux, tout va bien. Conditionnons ainsi, ça permettra de comprendre la bullish attitude ambiante ! Face à tout ça, il faut également essayer de garder son sang froid et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Ne devrions-nous pas faire comme les salariés de Citigroup ? Ceux-ci se sont en effet gavés d’actions lorsqu’elles étaient au plus bas…aujourd’hui…il y a de la plus value latente. Alors si comme on l’a vu les banques vont pouvoir se débarrasser de leurs actifs douteux en les refilant au contribuable, ne faudrait-il pas penser à rentrer dans le capital de ces astucieux braqueurs ? Plutôt que de s’indigner et de s’obstiner à attendre les grandes faillites, ne faut-il pas profiter de ce que ces naïfs américains vont injecter à leurs banksters ?
Pour jouer cela, il va falloir suivre attentivement la suite des choses. Faudra-t-il prendre le train en marche ou vaut-il mieux attendre une rechute pour tenter le coup que l’on a loupé la dernière fois : “a second shot” sur Citigroup par exemple ? Les arguments pour attendre une rechute se résument à “c’est plus prudent”. Mais le problème…c’est qu’il faudra essayer d’être sûr que le marché se relève une nouvelle fois et ça…peut être que les autorités américaines ne sont pas prêtes à tenter le coup. Autrement dit, il va falloir suivre de près la manière dont l’équipe Obama va gérer les points sensibles : AIG et l’ industrie automobile. On l’a déjà dit le petit jeu de “cache cache avec le cash cash” voit devoir cesser un jour. Cela va-t-il se faire par une grosse rechute ? Ou bien vont-ils la jouer plus “smooth”… L’idéal serait peut être une petite correction sévère mais pas catastrophique. Ce serait la petite secousse désagréable mais nécessaire pour régler les problèmes urgents GM…AIG… Les banques semblent donc peut être avoir de beaux jours devant elles, elles mourront sans aucun doute…mais il va y avoir regain sur fond de pillage des fonds publics dans les mois qui viennent. La seule manière pour le contribuable de limiter les dégâts semble être de se placer sur les boîtes qui le volent, notez bien qu’il peut aussi aller manifester : mais ce serait plus prudent de faire les deux !
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